Le Kyūdō, littéralement la Voie de l’arc

Le drame de la vie et de la mort dans le tir à l’arc.
L’histoire de l’arc est intimement liée à l’humanité, à son origine, l’arc est une arme de chasse ou de guerre dont la fonction est de tuer. Ainsi, dès que l’archer encoche sa flèche avec l’intention de tirer, il rejoue le drame permanent de la vie et de la mort, de sa vie et de sa mort.

Un Maître de Kyūdō a dit un jour :

" Votre première flèche doit atteindre la cible comme pour tuer un ennemi car si vous le manquez, lui peut vous tuer ".

Cette image rappelle à l’archer qu’il doit mettre toute son âme dans chaque flèche, comme si c’était sa dernière : Une flèche, une vie ".

Fortement pénétré de cette évidence, le tir à l’arc au Japon ne s’est pas limité à la fonction utilitaire de tuer mais a été investi d’une dimension symbolique et spirituelle. " L’arc est le réceptacle abritant les qualités du guerrier, les qualités propres de l’arc prenant une signification presque mystique ".

 

En pratiquant le Kyūdō, on cultive la personnalité, les qualités humaines, la force de caractère, la connaissance de soi, le respect des autres. Une grande importance est donnée à la qualité de la posture et du gestuel. Le tir parfait sera non seulement précis, mais empreint de dignité et d’esthétique, dimensions fondamentales de la pratique du Kyūdō. Esthétique du geste rythmé et harmonisé à la respiration, esthétique de la posture équilibrée, soulignée par la beauté des formes de l’arc. Tout ceci sera possible grâce à une concentration ininterrompue, et un entraînement intense et régulier.

Un arc grand et beau

Dans les temps anciens, l’arc japonais est simplement un arc droit d’un seul morceau taillé dans la partie la plus solide du tronc du zelkova ou du catalpa. À partir du Moyen-âge, il est construit selon la méthode du lamellé-collé avec du bambou en forme à double courbure.

L’arc qui nous intéresse dans le Kyūdō est le long arc qui mesure autour de 2,20 m. La poignée est placée de façon asymétrique au tiers inférieur de l’arc pour permettre de tirer à genou ou à cheval. Cet arc, moins fonctionnel qu’un arc court, est pourtant conservé par les archers, car ses défauts sont largement compensés par ses matériaux naturels, la simplicité de sa forme presque primitive, son élégance et sa beauté. Pour le pratiquant de Kyūdō, l’arc et les flèches sont des objets de vénération (Tempyo), investis de spiritualité et utilisés avec respect.

Le tir avec un tel arc exige une technique spéciale qui rend hommage aux qualités de l’arc. L’archer, qu’il soit droitier ou gaucher, tient toujours l’arc de la main gauche. Il ouvre l’arc au-dessus de sa tête et amène sa main droite qui tire la corde au-dessus de son épaule gauche. À cet instant, il est dans l’arc. La courbe de l’arc au-dessous de la poignée est considérée comme masculine, dynamique et puissante, et la courbe au-dessus est dite féminine, empreinte de délicatesse et de réceptivité. L’archer exprime cet équilibre universel des contraires pour ouvrir avec élégance, dignité et sérénité un tel arc. L’équilibre dynamique de l’arc se confond avec celui du corps de l’archer.

Le tir guerrier et le Kyuba-no-Michi

Les guerres sont nombreuses tout au long des premiers siècles de l’histoire du Japon. Les samouraïs, à travers des Ryu, développent un tir à l’arc technique (Kyûjutsu) en utilisant des grands et petits arcs, des flèches aux pointes de multiples formes, des méthodes de décoches, etc. La guerre des Gempei (1180 -1185) voit l’apogée de l’utilisation de l’arc sur les champs de bataille. La Voie de l’Arc et du cheval (Kyuba-no-Michi) se développe dans les différentes techniques de combat à pied ou à cheval et dans l’attitude mentale, faite de rigueur morale, respect de l’engagement envers son seigneur et son école, et de dignité au combat sans crainte de sa mort.

Le tir à l’arc guerrier
et le bouddhisme zen

Si le Shinto est une religion du vivant, le bouddhisme, implanté au Japon depuis 552, apporte de son côté des réponses sur la mort. En 1191, le moine Eisai introduit le zen et offre une solution au paradoxe des samouraïs : " Pour vivre, il faut mourir " . Si le guerrier tient à sa vie, au moment du combat mortel, il a donc peur de mourir ; s’il a peur de mourir, son corps, même très bien entraîné, marque un instant d’arrêt, d’inhibition à l’instant décisif qui est souvent fatal. A contrario, si le guerrier ne tient pas à sa vie, au moment fatidique il ne craint pas sa mort ; son corps bien entraîné agit alors en toute liberté, sans inhibition, en " état de grâce " et il porte le coup fatal dès qu’il perçoit la faille chez son adversaire. L’apport du zen devient déterminant dans le développement spirituel des guerriers.

L'arrivée des armes à feu
Du XIIIe siècle au milieu du XVIe siècle, les archers représentent l’élite des gens de guerre pendant les nombreux combats qui se déroulent. Mais vers 1543, les portugais armés de mousquets débarquent dans l’île de Kyushu, ces armes plus meurtrières remplacent les arcs sur les champs de bataille, et particulièrement en 1575 où elles permettent de remporter l’importante bataille de Nagashino. Le tir à l’arc est conservé par les bonzes et ceux qui suivent leur enseignement comme une discipline intérieure, un support de méditation active, une pratique du Zen debout.

La Longue Paix et le Kyūdō
De 1603 à 1868, une longue période de paix est imposée par les Tokugawa. La Voie des Guerriers (Bushido) se développe pendant cette période et le tir à l’arc devient une Voie de l’éveil. " En 1660, le Maître d’Arc Morikawa Kozan fonde une nouvelle école, Yamato Ryu, qui fait la synthèse entre l’aspect cérémonial des tirs de l’école Ogasawara et l’aspect technique de l’école Heki. Il utilise pour la première fois le mot Kyūdō. Il introduit pour la première fois le concept de Dô (la Voie) dans le contexte des arts martiaux ".