Les 47 rōnin

Les 47 rōnin
Les 47 rōnin

L'histoire des 47 rōnin n'est pas une pure fiction ; elle correspond à un fait historique.

En 1701 dans la région d'Ako, un groupe de samouraïs est laissé sans chef après la condamnation de leur daimyo Naganori Asano, au suicide rituel (seppuku) par le shogun Tokugawa Tsunayoshi.

Il est accusé d'avoir blessé Yoshinaka Kira, maître des cérémonies de la maison du shogun, qui l'avait insulté.

Les 47 rōnin décident de le venger en tuant Kira.

Après avoir patiemment attendu et planifié l'attaque pendant près de deux ans, l'attentat a lieu le 14 décembre 1702. Les 47 furent eux-aussi condamnés au seppuku pour meurtre et s'exécutèrent le 4 février 1703. Ils connaissaient tous les conséquences de leur acte et c'est pour cette raison que leur action est considérée comme particulièrement honorable.

Quelque peu enjolivée, cette histoire a trouvé sa place dans la culture populaire japonaise, par les valeurs de loyauté, de sacrifice, de dévouement et d'honneur dont tout Japonais était censé s'inspirer dans sa vie quotidienne. Cette popularité a connu un regain avec la rapide modernisation de l'ère Meiji, qui bousculait les traditions, et où beaucoup de gens cherchaient à y retrouver une part de leurs racines perdues.

 

Le cimetière de Sengakuji existe toujours. On voit le puits, le bassin où a été lavée la tête de Kira. On y voit le tombeau d'Asano et les quarante huit stèles dressées et alignées sous les arbres.

L'histoire

Asano Naganori
Asano Naganori

En 1701, deux daimyos sont appelés à la cour du Shōgun à Edo. Il s'agit de Kamei Korechika et d'Asano Naganori, le jeune daimyo du fief d' Akō dans la province de Harima. Ils sont chargés d'organiser la cérémonie d'accueil pour le cortège de l'empereur Higashiyama, attendu à la cour du Shōgun à l'occasion du Sankin kōtai, la réunion périodique des daimyos.

 

Pour être instruits de l'étiquette très rigide de la cour, ils se présentent au maître des cérémonies Kira Yoshinaka, haut fonctionnaire dans le shogunat de Tokugawa Tsunayoshi. Or Kira se montre particulièrement mal disposé à leur égard, probablement à cause de la modicité des présents qu'il reçoit en contrepartie de la formation qu'il leur a donnée alors que, selon l'usage, il attendait beaucoup plus. Selon certains témoins, Kira était un personnage assez cassant, d'autres le décrivent comme quelqu'un de corrompu. Comme Asano, très croyant et conformément à l'enseignement de Confucius, refuse d'entrer dans ce jeu de corruption, le maître de cour Kira devient plus arrogant, commence à se conduire de façon injurieuse à l'égard des deux daimyos et néglige totalement la formation qu'il est censé leur donner.

Kira
Kira

Tandis qu'Asano supporte stoïquement les humiliations, son compagnon Kamei en est de plus en plus irrité et décide de tuer Kira, pour laver cet affront. C'est alors que les conseillers avisés de Kamei, inquiets de la tournure prise par les événements, soudoient en cachette et grassement Kira, ce qui évite un meurtre qui aurait été un désastre aussi bien pour leur prince que pour la Cour. De fait, Kira se montre maintenant tout miel envers Kamei, ce qui atténue le courroux de ce dernier.

Attaque de Naganori Asano sur Kira
Attaque de Naganori Asano sur Kira

Kira reporte désormais sa hargne grossière contre Asano, qui n'a fait aucun geste dans le même sens. Il ne rate aucune occasion de le bafouer et finit par le traiter de cul-terreux. Pour le coup, Asano sort de ses gonds. Il bondit sur Kira une dague au poing, le blesse d'abord au visage, manquant son second coup qui éventre un coussin, avant que la garde accourue ne sépare les deux adversaires.

Certes, la blessure de Kira était bénigne, mais oser attaquer un haut fonctionnaire du shogunat à Edo et dans l'enceinte du palais du Shogun était en soi un acte gravissime, le simple fait d'y tirer une arme y était passible de la peine de mort. Selon d'autres sources, le crime d'Asano aurait plutôt été d'avoir endommagé dans l'action une célèbre porte coulissante dorée. C'est pourquoi Asano se voit contraint à exécuter sur le champ un seppuku (suicide rituel).

Aussitôt après le suicide d'Asano, tous ses biens sont confisqués, le fief d'Akō revient au Shogun et les samouraïs d'Asano se retrouvent rōnin, chevaliers sans seigneur.

Quand l'information parvient au principal conseiller à la cour d'Asano, Ōishi Kuranosuke Yoshio, celui-ci prend les affaires en main, met la famille d'Asano en sécurité avant de remettre les clefs du château aux envoyés du gouvernement.

 

Statue de Ōishi Kuranosuke
Statue de Ōishi Kuranosuke

Parmi les quelque 300 personnes qui composaient la suite d'Asano, se trouvaient 47 chevaliers qui ne pouvaient admettre la mort de leur seigneur sans qu'une vengeance en fût tirée, et notamment leur chef Ōishi Kuranosuke, et cela bien que la vendetta soit proscrite dans un tel cas. C'est en pleine connaissance de la lourde sanction qu'ils encourent qu'ils s'unissent dans un serment secret : ils vengeront la mort de leur maître en assassinant Kira.

Pour rassurer Kira et les autres fonctionnaires du shogunat, ils se dispersent et se font passer pour des commerçants ou des moines. Ōishi lui-même s'établit à Kyōto, fréquentant assidûment tavernes et bordels, pour dissiper les suspicions de vengeance qu'on pouvait lui prêter. il cherchait avant tout à calmer la vigilance des espions de Kira…


Tous ces faits sont bien entendu rapportés à Kira, assoupissant peu à peu sa méfiance. En effet, il paraît désormais clair que le clan d'Asano n'est qu'un ramassis de samouraïs de pacotille, qui n'ont même pas le courage de venger leur maître. Puisqu'ils paraissent décidément inoffensifs, une année et demie s'étant écoulée, il peut relâcher la surveillance.

 

Désormais, les anciens vassaux d'Asano se rassemblent à Edo et obtiennent sous leur couverture d'artisans ou de commerçants leurs entrées dans la maison Kira. Ils se familiarisent ainsi avec les lieux et les usages du personnel. L'un de ces hommes (Kinemon Kanehide Okano) va même jusqu'à épouser la fille de l'architecte afin de se procurer les plans du système de défense très élaboré. D'autres se procurent des armes et les introduisent dans Edo, dans la plus stricte illégalité, mais en intelligence avec Ōishi.

L'attaque (estampe de Hokusai)
L'attaque (estampe de Hokusai)

En décembre 1702, Ōishi Kuranosuke est enfin persuadé que la situation est mûre et que la garde de Kira est suffisamment relâchée. Il quitte Kyōto pour se rendre à Edo où sa petite troupe s'est rassemblée dans un lieu secret et a renouvelé le serment de la conjuration.

 

L'assaut contre la maison de Kira Yoshinaka est lancé à l'aube du 14 décembre, dans la neige et la tourmente. Le plan est minutieusement étudié : les assaillants vont se diviser en deux groupes, armés d'épées et de grands arcs. Tandis que le premier, sous la conduite d' Ōishi attaquera la porte principale, le second, commandé par son propre fils Chikara prendra la maison à revers. Un bruyant coup de gong donnera à tous le signal pour l'assaut et un coup de sifflet leur signalera que Kira est mort. Aussitôt, on lui coupera la tête pour aller la porter en offrande sur la tombe du seigneur Asano. Ensuite, ils se rendront et attendront la sanction inéluctable : la mort.

Ōishi ordonne à quatre hommes d'escalader la clôture pour surprendre les portiers, les neutraliser et les ligoter. Ensuite, il fait informer tout le voisinage qu'il ne s'agit pas de cambrioleurs, mais de chevaliers qui veulent venger la mort de leur seigneur, et qu'il n'arrivera rien à quiconque, hormis Kira. Il place alors des archers en couverture pour s'assurer que ceux qui dorment encore ne puissent s'échapper et aller chercher de l'aide.

oishi-chikara
oishi-chikara

Tout est prêt, l'assaut débute sur un violent coup de gong à l'avant de la maison. Dix hommes de Kira y sont affectés, mais l'escouade d'Ōishi Chikara les prend à revers.

Kira, terrifié, s'enfuit avec sa femme et ses servantes, dans un réduit au fond de la véranda, tandis que le reste de ses hommes, qui dormaient dans des baraquements à l'extérieur, tente désespérément d'entrer dans la maison pour le délivrer. N'y parvenant pas, ils tentent d'envoyer quelques uns d'entre eux chercher du secours, mais les archers veillent et abattent tous ces messagers.

 

Au terme d'un combat furieux, le dernier homme de Kira est enfin maîtrisé. Seize de ses hommes ont été tués, vingt-deux ont été blessés, mais pas la moindre trace de ce dernier. Ils fouillent la maison, ne trouvant que des enfants ou des femmes en pleurs. Ils commencent à désespérer lorsque Ōishi s'aperçoit que le lit de Kira est encore chaud : il ne peut être bien loin.

Exibition de la tête de Kira
Exibition de la tête de Kira

La mort de Kira

Au terme d'une nouvelle fouille minutieuse, ils découvrent caché par une grande tapisserie, un passage vers une cour intérieure. Quand ils y parviennent, ils se heurtent encore à deux hommes de Kira qu'ils tuent au combat. Dans cette cour intérieure se trouve un appentis servant à entreposer du bois et du charbon. En le visitant, ils tombent sur un homme qui s'y cachait et bondit sur eux un poignard à la main, mais ils le désarment sans peine.

 

Bien que le prisonnier refuse de donner son nom, les assaillants sont persuadés qu'il s'agit bien de Kira et ils sifflent la fin de la partie. Les rōnin se rassemblent et, à la lueur d'une lanterne, Ōishi identifie Kira. D'ailleurs, la cicatrice qu'il garde à la tête depuis le coup porté par Asano lève les derniers doutes.

 

Ōishi, en hommage au rang de Kira, s'agenouille alors devant lui, lui expliquant qui ils sont, et leur exigence de tirer vengeance pour la mort de leur prince. On lui offre néanmoins de mourir honorablement en samouraï en exécutant un seppuku. Ōishi propose même son assistance et présente à Kira la dague même qui avait servi à Asano pour se donner la mort.

 

Insensible à ces marques de déférence, Kira demeure là, muet et tremblant de peur. Le groupe se rend alors compte qu'il est vain d'attendre davantage de sa part. Ōishi charge un rōnin de faire agenouiller Kira et il le décapite avec la dague. Ils éteignent alors tous les feux et lumières de la maison. Emportant la tête de Kira, ils quittent les lieux. En chemin, Ōishi envoie le plus jeune rōnin porter la nouvelle à Akō, afin que tout le monde sache que la vengeance était enfin accomplie.

Le bassin
Le bassin

Dans le courant de la journée, les rōnin s'empressent d'apporter la tête de Kira sur le tombeau de leur maître, au temple Sengaku-ji, ce qui fait sensation dans les rues.

 

En se retrouvant au temple, les 46 rōnin restants lavent la tête de Kira dans un bassin, la purifient et la placent à côté de la dague fatale sur la tombe d'Asano. Après s'être recueillis en prière, ils font don à l'abbé de tout l'argent qui leur restait, en lui recommandant de leur faire des funérailles dignes et de veiller à ce qu'on dise des prières en leur mémoire.

 

L'heure de la reddition a sonné. On les divise en quatre groupes, sous la garde de quatre daimyos différents.

 

Arrivent alors au temple deux amis de Kira, qui viennent chercher sa tête pour l'enterrer. De nos jours, le temple possède encore le reçu signé à cette occasion par l'abbé et les deux amis.

 

Les autorités du shogunat se trouvent fort embarrassées. D'un côté certes les samouraïs s'étaient bien conformés aux usages guerriers du Bushidō, qui leur imposait de venger la mort de leur maître, mais d'un autre côté, ils avaient violé l'interdiction des vendettas édictée par le Shōgun à Edo. Comme prévu, ils sont condamnés à mort, mais le shogun leur accorde la mort honorable par seppuku, plutôt que de les faire exécuter comme de vulgaires criminels. Tous vont se plier au rite pour finir en guerriers.

Seppuku des  46 rōnin
Seppuku des 46 rōnin

C'est le Genroku 15, le 19e jour du 12e mois que les 46 rōnin s'appliquent la sentence (elle concerne 46 sur les 47 qui avaient participé à l'action, ce qui induit encore en erreur, on parle parfois à tort des « 46 rōnin »).

 

Conformément à leurs dernières volontés, les condamnés sont enterrés au temple Sengaku-ji, sur une seule rangée face à la tombe de leur seigneur. Quant au 47e rōnin, revenu plus tard de sa mission à Akō, il sera gracié par le shogun (en raison, dit-on, de son jeune âge), vivra jusqu'à 78 ans et sera finalement enterré aux côtés de ses camarades.